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Camille Jodoin-ENg | Sun Shrine & Katherine Melançon | Monument au Soleil / Galerie Patel Brown (CA)








 Jusqu'au 22 février 2025 


Lors d’un entretien avec Krista Tippett (1), adrienne maree brown évoquait une notion tirée du roman d’Octavia E. Butler, La Parabole du semeur (1993), dans lequel elle dépeint notre époque comme celle des nouveaux soleils. brown soulignait que nous vivons une période de croissance collective et globale, marquée par l’imminence d’un changement profond, et que nous cherchons à surmonter ensemble la peur face à un avenir incertain. Les expositions Sun Shrine de Camille Jodoin-Eng et Monument au soleil de Katherine Melançon invoquent de nouveaux soleils en explorant des pratiques de solidarité non hiérarchique et des manières de se réconforter en ces temps sans précédent.* L’installation Sun Shrine s’inscrit dans la continuité des recherches artistiques de Jodoin-Eng sur le mysticisme, la vie intérieure et les connexions profondes entre le corps, l’esprit et le monde naturel. En s’appuyant sur une esthétique appliquée et développée à travers ses œuvres précédentes, telles que Water Shrine (2019) et Earth Shrine (2020), l’artiste déploie son langage pictographique et sa manipulation de matériaux recyclés, de miroirs et de lumière. Ses autels sont conçus comme des portails, invitant le public à emprunter des chemins intentionnels pour se reconnecter et célébrer les myriades d’écosystèmes qui soutiennent la vie.

Avec ce troisième autel, Camille Jodoin-Eng souhaite inciter les visiteur.euse.s à contempler la puissance transformatrice infinie du soleil et à explorer leur propre potentiel de transformation (2). Alors que nous nous languissons de la lumière du soleil pendant les mois les plus froids de l’hiver, la douce lueur du soleil artificiel vient apaiser temporairement ce désir profond. Nos esprits sont conviés à réfléchir au double rôle de cet astre ardent , source de vie et de destruction. Sun Shrine nous reconnecte à notre lien fondamental avec la Terre et le système solaire. En tant qu’êtres vivants, nous partageons des éléments tels que l’hydrogène, le carbone, l’oxygène, l’azote, le magnésium et le fer. Certains de ces éléments, ainsi que les minéraux présents dans notre corps, se retrouvent également dans les déchets que nous produisons, révélant ainsi qu’il est impossible de nous dissocier de la nature ou de nos déchets.

Dans cette installation, l’artiste opère une véritable alchimie à partir de déchets en rassemblant et en triant des éléments tels que des fils d’écouteurs, des câbles électriques, de la mousse de sécheuse, des documents de travail déchiquetés et des couvercles en plastique de divers produits. Ces matériaux sont soumis à un processus de soins méticuleux : recouverts de feuilles d’or, les panneaux muraux de l’autel redéfinissent ces rebuts comme partie intégrante de nos écosystèmes interdépendants.* L’exposition Monument au soleil de Katherine Melançon explore davantage les liens entre la création artistique et le monde naturel. Cette exploration est divisée en deux chapitres, dont l’un, s’intitulant Monument aux interdépendances, est présenté à la galerie de l’UQAC à Chicoutimi. Tel un diagramme de Venn, son nouveau corpus d’œuvres fusionne la sphère publique des êtres vivants non humains et le monde de l’art. Celui-ci révèle des thèmes centraux, tels que l’écoanxiété, les ruptures de transmissions de connaissances intergénérationnelles et la précarité dans le secteur culturel. * Soleil couchant – Monument au soleil (après Chapdelaine) rend hommage au grand-oncle de Katherine Melançon, Jacques Chapdelaine. L’œuvre se matérialise sous la forme d’un jacquard qui retranscrit, en temps réel, un rendu numérique du coucher de soleil d’Alma, mis à jour quotidiennement grâce à des capteurs. Ce projet vise à restaurer la présentation que Chapdelaine avait originalement imaginée pour son œuvre publique installée dans la même ville. L'installation inadéquate de la sculpture, ainsi que d'autres négligences touchant plusieurs œuvres, avait conduit à une action collective en justice dans les années 1970, contribuant à faire progresser les lois sur le droit d’auteur au Québec. Alors que les couchers de soleil d’Alma se succèdent, effaçant les traces de ceux qui les ont précédés, l’artiste interroge les causes de l’amnésie collective qui obscurcit les luttes de nos prédécesseur.e.s.

Katherine Melançon approfondit sa réflexion en s’interrogeant sur l’impact de l’IA sur les relations qu’entretiennent les artistes avec leurs œuvres et leur statut de créateur.trice.s. Et quels enseignements pouvons-nous tirer d’observations intentionnelles des plantes et des cycles saisonniers? La série de photogrammes et de scanographies Photosynthèse combine des images (dont certaines ont été générées par l’IA) de pins, d’algues et de fougères. Ces compositions illustrent le passage du temps dans le parc entourant la sculpture de Chapdelaine et le savoir ancestral enraciné dans nos paysages. Par l'entremise du Calendrier perdu de l’Humilicène, l’artiste examine de manière saisissante le contraste entre les conceptions occidentales des quatre saisons et les perspectives autochtones plus nuancées, fondées sur six cycles saisonniers. Cette œuvre encourage les discussions sur notre perception du temps, en proposant une chronologie qui souligne les cycles de vie des plantes vulnérables et met en lumière les perturbations environnementales. En contrecarrant les structures temporelles capitalistes et coloniales, elle permet une prise de conscience sur l’incidence de ces facteurs sur le rythme des saisons, des ressources et du travail.

Sun Shrine et Monument au soleil offrent des moyens tangibles pour cultiver des relations avec notre environnement et les écosystèmes qui nourrissent notre bien-être. Ces deux expositions soulignent les préoccupations quant au type de monde qu’il est possible de créer dans le tumulte actuel. Elles démontrent l’importance d’agir avec attention à travers des gestes quotidiens durables, en observant, en documentant et en favorisant la transmission du savoir.

(1) Entrevue avec adrienne maree brown menée par Krista Tippett, On Being with Krista Tippett, On Being Studios, 3 juillet 2024. 

(2) Camille Jodoin-Eng, message par courriel à l’auteure, 16 décembre 2024* – Geneviève Wallen (traduit par Marie-France Thibault)





Camille Jodoin-Eng est une artiste basée à Toronto. Elle a développé un langage visuel évolutif de symboles qui révèlent l'intuitif et l'indéfini. La pratique de Jodoin-Eng combine des structures en miroir, de la lumière, des déchets, du verre, de la peinture et des dessins à l'encre. Souvent inspirée par les sanctuaires et les temples en tant qu'espaces consacrés à la réflexion sur les existences d'un autre monde, son travail fait appel à la symbologie et au mysticisme pour créer des manifestations physiques qui contemplent les existences terrestres et spirituelles. Jodoin-Eng a obtenu son baccalauréat en beaux-arts à l'Université OCAD (2014) et ses expositions récentes à Patel Brown comprennent Convergence at the Frog Pond (2022) et Earth Shrine (2020). Jodoin-Eng a reçu des subventions du Conseil des arts de l'Ontario et du Conseil des arts de Toronto. Jodoin-Eng a exposé à travers l'Ontario, ainsi qu'au Québec et a réalisé de nombreuses installations commisionnées, notamment Sunlight Garden (2023) au 688 Dundas St E, Water Shrine (2019) à Nuit Blanche et Sun Vault (2019) à l'hôtel W.

La pratique de Katherine Melançon cherche à faire voir et vivre l’agentivité du vivant afin de transformer notre relation au vivant non-humain. Son travail prend la forme d’installations vivantes connectées, de tapisseries augmentées, d’images imprimées et en mouvement, d’objets mêlant des techniques traditionnelles, obsolètes et émergentes - collaborant souvent avec d’autres humains et des êtres vivants non-humains. Le point de départ des œuvres est souvent un lieu et la «scanographie» de ses végétaux créant ainsi de «nouvelles semences» ensuite replantées dans divers matériaux, explorant la fluidité des images entre des sols physiques et numériques.

Melançon a obtenu une maîtrise en beaux-arts à la Central Saint Martins de Londres, Royaume-Uni, et un baccalauréat en médias interactifs de l’UQAM, Montréal, Canada. Son travail a notamment été exposé au Canada au Musée d’art de Joliette (2023), à la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement (2022), à Patel Brown (2022), à la Fondation Phi (2019) et en Europe au Musée Max Ernst (Cologne 2023), à la Biennale de l’image tangible et la Biennale NovaXX (Paris 2023 et 2021) et à la galerie Arcadia Missa (Londres 2011). En 2021, elle reçoit le prix Galerie Charlot lors de la Biennale NovaXX du CWB à Paris et en 2022, elle est nommée sur la liste préliminaire du prix Sobey pour l’art contemporain canadien.

Geneviève Wallen est une commissaire indépendante, écrivaine, chercheuse, facilitatrice d'ateliers et mentore. Elle travaille entre les territoires de Tiohtià:ke/Mooniyang (Montréal) et de Tkaronto (Toronto). Sa pratique curatoriale, son éthique administrative et sa pédagogie s'inspirent du féminisme intersectionnel, des dialogues intergénérationnels et des plateformes PANDC offrant des alternatives aux définitions néolibérales du soin. Ses explorations curatoriales comprennent la pratique du don, la création d'espaces pour les pensées inachevées ainsi que les réflexions sur l'intersection de la longévité et du plaisir.

 


Galerie Patel Brown 
372 Rue Sainte-Catherine O, 
Montréal, QC 
H3B 1A2 
mercredi - samedi 12h à 17h




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