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Bony Ramirez - Le Grand Corail / Galerie Bradley Ertaskiran (CA)


Oeuvre: Bony Ramirez, comienzo y final de une verde manana.

Le Grand Corail 

Jusqu'au 01 mars 2025 


Texte d’Auttrianna Ward 

Car lorsqu’on parle de colonisation, ce que le corps subit est aussi ce que la terre subit. Les Caraïbes, terre d’origine des Tainos, Arawaks, Caribs, Kalinagos, Ciguayos et Macorixes, sont souvent aplanies par l’imaginaire touristique, réduites à des cartes postales et des brochures vendant le paradis. Cet effacement réduit au silence la résilience, la violence et l’histoire de ces terres et de leur population. Bony Ramirez refuse cet aplanissement. Son travail donne à la République dominicaine et aux Caraïbes en général une profondeur incroyable, complexifiant le regard de l’autre tout en recentrant les récits des corps noirs et bruns.

Hispaniola, l’île qui comprend aujourd’hui Haïti et la République dominicaine, a été le premier lieu des Amériques à recevoir des esclaves africain.es. C’est également là qu’a eu lieu la première révolte d’esclaves recensée, en 1521, dans la plantation de Diego Colón, le fils de Christophe Colomb. Plus tard, Hispaniola fut le théâtre de la révolte d’esclaves la plus réussie de l’histoire, qui culmina avec la révolution haïtienne et la formation de la première république noire en 1804.

Les relations tendues entre Haïti et la République dominicaine tissent une trame historique complexe, façonnée par des siècles d’influences coloniales extérieures qui ont imposé des divisions et perpétué des cycles de violence dans les idées et les pensées. Ces forces extérieures — renforcées par l’exploitation, le colorisme et l’ingérence politique — ont fracturé une histoire commune, laissant cette tension ancrée dans la mémoire collective de la région.

Cette île, en tant que berceau de l’identité noire dans les Amériques, est au cœur de la pratique de Ramirez et enracine son travail. Ses peintures, qui regorgent de bleus océaniques, de grands coraux et de verts tropicaux des Caraïbes, explorent les complexités de la race, du désir et de la marchandisation des corps noirs et bruns. En s’appropriant des images tirées directement de Tropic 2 Caribbean Colour Latin Spice & Black Heat, un magazine gai pour adultes datant de 1985, Ramirez se confronte directement à la façon dont la colonisation et le sexe s’entremêlent dans l’imaginaire associé aux Caraïbes. Ces images — ainsi que des publicités pour le tourisme sexuel dont le langage est si explicite qu’il rivalise avec les carnets de Colomb — sont superposées sur du marbre, un matériau qui relie son passé d’ouvrier du bâtiment à son présent d’artiste caribéen de premier plan qui démantèle les récits exotisés.

Les tons lascifs des publicités touristiques, et même la façon dont le marché de l’art lui-même exotise les artistes qui soutiennent ces récits, restent en arrière-plan de l’œuvre de Ramirez. Sa peinture In the Fight Between the Ring Ropes, 2024 rappelle subtilement les mensurations des Africain.es kidnappé.es sur les quais où ielles étaient vendu.es, nous forçant à considérer comment cette histoire de marchandisation persiste dans les représentations contemporaines du corps noir. Son travail crée un dialogue entre la violence de l’histoire et la beauté de la résilience, donnant la parole à des perspectives queerisées et féminisées qui ont longtemps été ignorées.

Éternel étudiant, Ramirez dédie Comienzo y Final de Una Verde Mañana, 2024, à la mémoire de l’artiste afro-cubain Wilfredo Lam, figure légendaire qui a attiré l’attention du monde entier sur la complexité et la richesse de l’art caribéen. En évoquant Lam, Ramirez reconnaît non seulement sa place dans cette histoire de l’art spécifique, mais il l’approfondit également, en décalant l’axe par lequel ces histoires sont racontées. Ses peintures créent et soutiennent l’histoire tout en affirmant que les Caraïbes ne sont pas un lieu d’effacement, mais une mémoire vivante et stratifiée.

La pratique de Ramirez, enracinée dans des tons vibrants, une iconographie religieuse et des matériaux profondément personnels, résiste à la simplification. Son travail nous rappelle que le corps, comme la terre, est porteur d’histoires, de violence et de beauté, de résilience et d’exploitation. Il nous oblige à voir les Caraïbes non pas à travers le prisme de l’étranger, mais comme un monde vivant avec ses propres histoires, ses propres voix et ses propres vérités.

 


Galerie Bradley Ertaskiran 
3550, rue Saint-Antoine Ouest 
Montréal (Québec) 
 H4C 1A9 
Canada T +1 514 989-1056





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